Etymologiquement, le mot poignard trouve ses origines dans le latin populaire  « pugnale » venant de « pugnus » qui signifie « poing ».

Alors que l’on prête à l’épée des qualités symboliques plus nobles (combat loyal, séparation du bien et du mal, glaive de la justice, etc..), le poignard se voit attribué des desseins plus obscurs.

Nous trouvons le poignard dans l’iconographie de certaines civilisations anciennes appelant aux sacrifices humains, comme chez les Aztèques par exemple, pour ne citer qu’eux. De même, qu’il reste, dans notre mémoire collective, associé à l’image d’Abraham brandissant un poignard pour immoler son propre fils à la demande de l’Eternel.

Quant au Moyen-Âge, le poignard, désigné par le terme de «main gauche », était considéré comme compagnon de l’épée, car il servait au Chevalier à parer les coups de l’adversaire de la main gauche, alors qu’il maniait l’épée de la main droite. Tout Chevalier recevait une épée et un poignard lors de son adoubement. Défenseur de la veuve et de l’orphelin, le Chevalier médiéval était le champion des causes justes, engageant sa vie jusqu’au sacrifice, selon la devise de l’Elu «VAINCRE OU MOURIR» brodée sur le cordon des grades de vengeance et dont le poignard est l’emblème. Cette devise signifie notre volonté et notre détermination à vaincre, symboliquement, nos vices et nos passions, et ce jusqu’à la mort de notre EGO.

Bien que ne possédant pas les qualités symboliques de l’épée qui sépare le bien du mal, le poignard est un symbole important d’arme de pénétration. Il pénètre ici l’esprit et le cœur dans les ténèbres et le sommeil. Sa conception bimétallique présume déjà de sa dualité. Sa lame d’argent à double tranchant et son manche d’or figurent les valeurs femelle et mâle, lune et soleil, passif et actif, yin et yang, ici la connaissance indirecte et directe. Le tout en une seule arme de pénétration qualifiée à la fois d’offensive et de défensive, pouvant transpercer le cœur et le centre de l’être. Il est donc clair que la pénétration est à considérer comme fondamentale, voire un acte primordial, à la fois pénétration de la terre mère qu’est la Caverne et la pénétration du poignard dans la tête et le cœur. D’ailleurs le mot Nekah (réponse au mot sacré) signifie « a pénétré », c’est-à-dire : action de l’esprit par laquelle on accède à la compréhension et par laquelle on connaît…

Que le poignard soit utilisé pour un rituel sacrificiel, ou toute autre cause qu’elle soit noble, justifiée, ou non, il n’en reste pas moins vrai qu’il blesse, tue, fait couler le sang. Alors pourquoi un poignard dans le Temple ? N’avions-nous pas obligation pour être reçus en Loge d’être « ni nu, ni vêtu et dépouillé de tous métaux » ? Depuis les temps les plus lointains, le métal était prohibé dans les Temples et bien évidemment, celui de Salomon ne dérogeait pas à cette règle. Que vient donc faire cette arme blanche, utilisée dans le combat au corps à corps avec un adversaire de proximité, dans un lieu aussi sacré que notre Temple qui se veut affranchi de toutes servitudes profanes ? Tout est symbole, nous dit-on !

Néanmoins, le poignard porte en lui un pouvoir, une charge de significations que l’on ne peut nier, faisant de lui un instrument de violence, qu’elle soit légitime ou criminelle.

Est-ce parce que l’espèce humaine est biologiquement déterminée par une part d’agressivité naturelle qui entraîne, ipso facto, un comportement violent qu’il faut éradiquer, que le Rituel au Grade d’Elu a fait du poignard un de ses principaux symboles pour aborder la problématique de la réparation du crime liée aux concepts de vengeance et de justice, sachant que la vengeance se réfère à une appréciation personnelle, donc par définition de nature subjective (incarnée par Johaben) et soumise à la passion ; alors que la justice relève du collectif (incarné par Salomon), en principe de nature objective en s’appuyant sur la loi ?

Si l’on considère que cette forme de violence qui est en nous, matérialisée par le poignard, permet aussi d’acquérir des forces pour vaincre les obstacles, surmonter les épreuves, se parfaire et apprendre à connaître nos limites, après tous, pourquoi pas ? Nous avons bien été confrontés tout au long de notre parcours initiatique à la violence qui menace le parjure : la gorge tranchée au 1er degré, le cœur arraché au 2nd  degré, le corps coupé en deux au 3ème degré ! Pour toutes ces raisons, Le poignard devient l’emblème et l’outil par excellence de la vengeance

Son symbolisme et ses effets sur notre inconscient réveillent, tout en nous appelant à les combattre, les zones obscures, les côtés négatifs ou refoulés du MOI, sur lesquels je reviendrai par la suite.

Le poignard, qui tue et transperce l’obscurité en anéantissant l’adversaire, est pour MOI/JOHABEN un geste libérateur correspondant à la mise à mort définitive du vieil homme enténébré. Ce n’est donc pas sans raison si les centres touchés sont : la tête, siège de l’esprit et le cœur, siège de l’affect. Ainsi, en décapitant ABIBALC avec le poignard, MOI/JOHABEN exprime une forme d’éradication de l’intellect. Nous assistons ici à la naissance de la « voix de la conscience », c’est-à-dire : à la conscience entendue comme « conscience morale », celle qui parle en nous et qui nous permet, en notre for intérieur, de distinguer le bien du mal et de mesurer la valeur de nos actions.

Sur un plan intérieur, le poignard, brandi avec énergie et détermination, matérialise la volonté de VAINCRE ou MOURIR pour extirper ce qui est nuisible en soi, c’est-à-dire contre tous les éléments qui nuisent à l’Unité, à l’Ordre, à l’Harmonie. Toute quête initiatique débute par un travail sur soi afin de prendre conscience que les principaux ennemis à combattre sont en nous-mêmes.

Sur un plan extérieur, Le poignard permet de trancher dans le vif, de réagir contre l’immobilisme contraire à tout progrès de l’humanité. Vivre, c’est lutter contre toutes les forces internes et externes d’oppression, de chaos, de dissolution. Dès lors, le poignard devient l’arme de révolte de l’Elu contre toutes les tyrannies aveugles, tous les systèmes d’asservissement qui privilégient l’avoir et le pouvoir contre l’être. Le geste de l’Elu vengeur correspond à un geste de résistance, à une volonté agissante de justice contre toute forme d’aliénation, que ce soit contre le fanatisme, l’ambition, l’orgueil, l’ignorance.

Pourquoi avoir choisi une Caverne et quelles conséquences pour MOI/JOHABEN ?

En effet, on ne peut plus obscur et si caché ! La Caverne représentant le siège de la conscience humaine, archétype de la matrice universelle, symbole de l’origine, lieu privilégié de mort, de renaissance et d’Initiation. Son symbolisme est double : élévation de l’âme ou descente aux enfers.

Pour ABIBALC ce sera son supplice, sa descente aux enfers. Là, face à sa conscience et pris de remords, il  préférera retourner le poignard contre lui-même, plutôt que d’affronter la justice et son châtiment.

Pour MOI/JOHABEN, la Caverne symbolise mon inconscient et ses profondeurs labyrinthiques. En y entrant MOI/JOHABEN vais à la rencontre de ma propre ignorance, allégoriquement représentée par ABIBALC. Ici l’ignorance ne signifie pas un déficit de savoir, mais correspond à une incapacité à reconnaître que tout homme à la potentialité d’éveiller sa conscience, pour enfin se connaître et connaître.

En cet instant dans la Caverne, meurtrier et justicier ne font plus qu’un, d’où mon interrogation : contre quel ennemi MOI/JOHABEN dois-je véritablement combattre ? Est-ce un combat contre un ennemi mythique, ou contre certains aspects de mon existence ? ABIBALC, symbolisant la part d’ombre qui réside en chacun de nous, n’est autre que le miroir qui me renvoie ma propre image et m’oblige à assumer et à combattre mes pulsions intérieures. Je comprends que le poignard doit être d’abord utilisé retourné contre moi-même pour éliminer les mauvais compagnons qui sommeillent en moi.

En conclusion, je considère que le poignard, brandi au cri de « vengeance » n’est pas l’arme d’un meurtrier puisque l’action menée se situe sur un plan supérieur, d’où mon sentiment que ce qui s’est passé dans la Caverne n’est autre qu’une épreuve (heureuse somme toute puisque que la vengeance s’est accomplie sans que MOI/JOHABEN n’ait eu à salir mes mains de sang), une de plus à subir et à surmonter pour avancer sur la voie que j’ai choisie. Le poignard devant permettre ma conversion et ma régénération intérieure par un travail sans relâche sur mon SOI, noyau irréductible de mon individualité profonde, au sens jungien du terme, et par ce fait, chasser les : MOI égoïstes, encombrants et multiformes qui ne cessent de me tarauder. Tout Initié en quête de Vérité y est soumis. Je ne puis y échapper, c’est pour cela que je suis devenue Maçon, voire un Maître Maçon désireux de poursuivre ma progression.

Enfin, force est de constater que dans cette affaire là, la chose est nouée entre moi et moi-même. Ici, le poignard, de même que les luttes du conscient et de l’inconscient, que la Caverne, que la lampe, que la source d’eau, nous démontre sa saisissante signification de travail intérieur.

C’est en portant attention :

● à mon inconscient (matérialisé par la Caverne),

● aux pulsions qui y résident (matérialisées par le poignard),

● à l’ultime rappel de la conscience qui doit dominer en toutes circonstances (matérialisé par la lampe),

● et à ma part d’ombre (matérialisée par ABIBALC),

que MOI/JOHABEN, adepte inachevé en marche, pourrai comprendre le sens de mon élection.

Je parcours l’exposition de la collection de tableaux du marquis Campana au Musée du Louvre. Je reste saisie devant le tableau de la peinture italienne du XVIè siècle intitulé« Judith tenant la tête de Holopherne » qu’elle vient de décapiter…un moment de recul devant cette scène… Judith, belle et jeune veuve, écarte ainsi la menace d’une invasion assyrienne en décapitant le général ennemi et restaure la foi du peuple juif en la puissance salvatrice de Dieu.

Si j’ai choisi de traiter ce soir le thème de la vengeance, c’est que les mots que j’ai prononcés avec effroi et stupeur, lors de ma réception au 1er ordre « le crime est puni » m’avaient déstabilisée. 

Ainsi, la vengeance est-elle une forme de justice ? Comment le progrès moral conduit  à supprimer la vengeance ?

Quête de justice ou sentiment de révolte ?

La vengeance est une violence infligée en réaction à une autre violence. La vengeance est la prétention de l’individu de se faire justice soi-même sans passer par la médiation des lois, qui en fait une réaction  condamnable.   

La vengeance dans l’histoire de l’humanité :

Dans la Grèce antique la vengeance, la némésis, fut d’abord une idée morale. Personnifiée, Némésis était la déesse de la juste colère des dieux. Le sens de ce mot grec dérive du terme signifiant « donner de ce qui est dû ».  Némésis, était aussi la déesse de l’équité, de  la justice rétributive qui agissait chaque fois que la démesure des  mortels, mettait l’équilibre de l’univers en danger. Loin d’accomplir d’aveugles vengeances, elle  n’avait en fait qu’une fonction essentielle : empêcher les orgueilleux mortels de devenir les égaux des dieux. Mais on trouve également pour signifier  l’idée de « vengeance », chez Hérodote, le mot tisis. La tisis qui signifie  « la rémunération, la  récompense » rétablit l’équilibre après un affront ou une injustice en faisant payer le coupable. 

La justice est un des éléments de réflexion qui dans la pensée grecque, occupe une place importante.

La justice était rendue par tout le monde. Tout citoyen était un juge. Une liste de 6 000 noms était dressée chaque année par la voie du sort, et ces  citoyens désignés formaient le corps judiciaire pendant toute une année.

Dans la langue d’Athènes, cet immense tribunal s’appelait l’héliée (assemblée populaire). Cette justice exercée par le peuple était nécessairement subordonnée aux intérêts ou aux passions populaires. Elle ne garantissait ni la liberté individuelle, ni le droit de propriété, ni la conscience de l’homme, ni sa vie. Elle condamna entre autre Socrate.

La tragédie grecque dura en tout quatre-vingt années. Cette période correspond à la période d’épanouissement d’Athènes et de sa démocratie au Vème siècle avant notre ère. Eschyle est un contemporain de la démocratie athénienne et plus précisément du moment de la tyrannie, pouvoir personnel prenant appui sur le peuple contre les régimes oligarchiques des aristocrates. Eschyle voit donc naître avec la démocratie la naissance d’une justice citoyenne, médiatisée par un tribunal dont la finalité est de préserver la concorde et la paix.

La vengeance justicière dans les sociétés féodales.

Les sociétés féodales et aristocratiques quant à elles, sous des formes différentes, ont longtemps reposé sur un code de l’honneur qui obligeait l’aristocrate offensé à venger les affronts. Cette sorte de vengeance codifiée a disparu du monde occidental  avec l’interdiction du duel. 

Désormais cette vengeance persiste sous une forme particulière en Corse, par exemple. Il s’agissait d’un  état de guerre privée entre familles désigné par le mot italien « vendetta ».  La vendetta corse correspond à des guerres  liées à un système de parenté, dans lesquelles, contrairement aux guerres modernes où des anonymes tuent des anonymes, on sait qui doit tuer et qui doit être tué. Si cette vendetta a tendance à disparaître, subsistent encore de temps à autre, des règlements de compte sur cette île.

ANALYSE PHILOSOPHIQUE DE LA VENGEANCE

Aristote est le premier philosophe à avoir parlé de la vengeance à condition qu’elle ne soit pas démesurée. Il existe en chacun de nous un désir de vengeance, ce désir ne doit pas devenir un appétit de vengeance (comme le disait Montaigne) et ne doit pas toujours passer par l’acte.

La vengeance fait appel à une morale libre si bien qu’on peut admette, celui qui a été injustement offensé et blessé dans son être. La vengeance se distingue alors de la punition par l’intention de son auteur, qui, motivé par la perspective de la souffrance de l’autre, cherche non pas à rendre justice mais à soulager son sentiment d’injustice. 

L’homme est non seulement un être de raison mais aussi un être d’émotion qui ne saurait tolérer de préjudices injustes sans contrepartie.

Au commencement il y a la colère.  Aristote, ne condamne pas la vengeance, pour Sénèque et plus tard Montaigne, la colère est une impulsion qui n’a rien de noble. Chercher à obtenir réparation d’une offense pour Aristote est une chose acceptable et juste.

L’homme est un être de raison et donc doté de la faculté de langage. Par conséquent, recourir à la vengeance est une réaction primaire. La violence est en général une réaction épidermique instinctive et une réaction spontanée et irréfléchie. La violence est honnie dans la religion catholique, comme étant non légitime, puisque le sixième commandement biblique est « Tu ne tueras point ». 

La punition n’aurait pas lieu d’exister si l’humanité était par tempérament respectueuse envers autrui, mais l’état de nature favorise le droit du plus juste quand la douleur enfante le désir de vengeance au point que l’humain nie toute autre justice. La vengeance n’existe que si le châtié sait par qui et pourquoi il est puni ; elle tient au mobile de l’action, à la connaissance mutuelle d’une faute à réparer, à la connaissance de l’identité de l’auteur du châtiment ; elle prend tout son sens si la victime connaît son agresseur et détermine le mobile de l’action. Pour autant, le terme grec « vindicare » signifie vengeance pour réclamer justice, son étymologie est proche du grec « judicare » qui signifie faire le droit, la Justice. 

Vengeance divine et vengeance humaine : l’Iliade et l’Odyssée les chantent en déployant toutes les actions qui en découlent. Le prétexte de la guerre de Troie a été l’enlèvement d’Hélène, la femme de Ménélas : ainsi les Achéens, conduits par Agamemnon, frère de Ménélas, assiègent-ils la ville de Troie. Les vengeances s’entrecroisent et les dieux sont partie prenante : Apollon envoie la peste sur l’armée pour se venger d’Agamemnon qui tient captive la fille d’un prêtre du dieu. Quant aux aventures d’Ulysse dans l’Odyssée, ses péripéties se multiplient dès qu’Ulysse a aveuglé le géant Polyphème et que le dieu Poséidon, père de celui-ci, veut se venger.

De la philosophie à la politique, l’économie, l’histoire, la littérature, la réflexion sur la vie humaine a donc dû se pencher sur le problème de la vengeance.  

Il ne serait pas possible de penser la littérature sans la vengeance. Et quelle foule d’autres passions et actions peuvent s’associer à elle : l’orgueil, l’honneur, la jalousie, la rage, la rancune, le ressentiment, la haine, la trahison, l’offense.

La vengeance est une passion elle prend des formes variées et s’appuie sur des réactions, des sentiments et des pensées irrationnelles. La vengeance apparaît comme un acte sinon beau, du moins non condamnable, justifiable quand elle semble remplacer la justice qui ne peut agir ou refuse de le faire. L’héroïne de « La Mariée était en noir »,interprétée par Jeanne Moreau : Le jour de son mariage, des hommes en essayant un fusil de chasse tuent son mari sur le parvis de l’église. Julie va assassiner ces hommes les uns après les autres en recourant à différents stratagèmes. Sa vengeance ne lui rendra pas son mari, Julie peut être rapprochée de Médée, l’un des personnages les plus emblématiques de cette passion.  La vengeance s’oppose à la morale, à la raison.

Ainsi la souffrance, l’humiliation sont toujours à l’origine de la vengeance.  Le désir de nous venger vient d’une agression d’autrui. La vengeance est un rapport à l’autre, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une vengeance collective ou privée. 

De la vengeance à la justice 

Sur le plan historique, c’est la loi du Talion de la Grèce antique  (« œil pour œil, dent pour dent ») qui exigea que le coupable subisse une punition égale au tort commis. La loi du talion – marque paradoxalement un progrès et en même temps elle traduit ce sens de la justice qui implique la réciprocité et l’égalité arithmétique. Elle constitue une forme de justice. La vengeance selon Hegel respecte la loi du Talion, c’est-à-dire qu’elle punit le criminel à proportion de son crime. 

Rédigé vers -1750 avant notre ère, le code d’Hammourabi transcrit sur une stèle de pierre, était d’abord une célébration du roi babylonien Hammourabi.  Dans ce code, chaque délit reçoit sa propre sanction, ces sanctions sont très sévères par rapport aux normes modernes, avec de nombreux délits entraînant des châtiments tels que la mort, la défiguration ou l’application de la loi du talion. Il s’agit donc d’une forme de jurisprudence dont devaient s’inspirer les juges du royaume.  

La loi d’Hammourabi a donc été créée afin d’éviter toute vendetta.  Telle est la véritable origine de la loi du Talion et comment à travers un simple petit code de loi du XVIIIe siècle av. notre ère, la philosophie de plusieurs religions monothéistes ont été influencées dans leur fondement.  

La Justice à l’époque de la Grèce antique est vue comme une vertu : il n’y avait pas de code pénal et on jugeait chacun comme il méritait. La justice, les sociétés démocratiques contemporaines condamnent la vengeance que chacun pourrait exercer sur un agresseur. Mais la justice peut reconnaître la souffrance de l’offensé en punissant l’offenseur, mais elle agit d’abord pour elle, c’est-à-dire pour garantir un équilibre et la paix sociale et ne parvient pas à réparer le préjudice. 

Si tout le monde se faisait justice, ce serait le chaos, cependant le désir de vengeance est juste : il est une façon d’imposer notre être humilié, mais aussi notre liberté, notre puissance de révolte et d’action.

La vengeance est une soif d’assouvir sa haine, elle est humaine, elle est tellement humaine qu’en Droit elle peut parfois conduire à l’acquittement des crimes, qu’ils soient passionnels ou issus d’une perte temporaire de la raison. 

Pour rester dans un rapport humain avec l’offenseur et faire de la vengeance un acte seulement symbolique, il faudrait suivre la sagesse de Montesquieu : « Nous sommes assez vengés quand celui qui nous a offensés est persuadé du pouvoir que nous avons de la vengeance ; le refus que nous faisons de nous en servir, fait voir autant de grandeur d’âme que de mépris pour notre ennemi ».

Selon Montesquieu,  la vengeance dans sa forme s’oppose au droit. Je cite « Mais, selon sa forme, elle est l’action d’une volonté subjective,…la vengeance devient une nouvelle violation du droit : par cette contradiction, elle s’engage dans un processus qui se poursuit indéfiniment et se transmet de génération en génération, et cela, sans limite… » (c’est bien le cas des vendettas).

Alors, comment est-on passé d’une force de représailles individualistes instinctives violentes expression d’un mal, à la Justice, institution d’un droit positif aux lois démocratiques qui sécurisent et ordonnent la Cité vers le Bien ?

Ce mépris de l’autre éclaire sur la nécessité d’un droit qui évite un monde régi par des conflits d’intérêts personnels. Si la juste réparation éclipse la vengeance grâce aux lettres de rémission, la deuxième évolution majeure se fera surtout lorsque la tradition philosophique et religieuse occidentale définira l’Humain en être doué de Raison. La Raison de DESCARTES distingue les humains des bêtes en ce que l’aptitude au Cogito ergo sum (« Je pense donc je suis ») stabilise l’esprit et génère le sentiment de discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste.

C’est donc admettre que la conscience humaine possède un sens inné du discernement. Cette implication fait dire à SPINOZA que les sociétés subsistent si les lois modèrent et contraignent les excès responsables des vendettas, à ROUSSEAU que la Justice doit distinguer le droitdu principe inégalitaire d’autorité qui est toujours inassouvi et enclin à la vengeance. Ce droit moderne limite les effets de l’intempérance humaine par des nouveaux rapports philanthropes établis sur autre chose que la violence vengeresse.

Le châtiment irréversible acté en vengeance est un mal qui au mieux rabaisse la victime au niveau du coupable, c’est pourquoi il faut laisser à l’État le soin de punir les fautifs. 

« Tout bras armé autrement que par un pouvoir légitime ne peut être criminel ».

Dans le monde occidental contemporain la vengeance est interdite aux individus et aux états. A l’égard du coupable, nous vivons désormais sous le régime des circonstances atténuantes et du pardon, de la peine juste donnée au cas par cas, et de la réhabilitation comme objectif de la sanction judiciaire.

Aucune vengeance ne saurait être juste. Se venger n’est pas juger, c’est répondre à une souffrance par la souffrance. La vengeance crée ainsi un cycle de violence inscrit dans une intersubjectivité qui maintient les parties concernées dans un rapport de force et non de droit. Avec la force, on n’arrête pas le mal, on le perpétue. La force use de la passion, la justice elle de la raison. Seul ce qui est juste peut aussi mettre un terme à un conflit. La vengeance n’a pas cette puissance car elle ne cherche pas à réparer. Elle est une mauvaise réponse à l’émotion. La vengeance ne répare rien ; elle déséquilibre un peu plus une relation. 

Quelle est cette vengeance demandée  au  1er ORDRE ?

Les meurtriers d’Hiram étaient des ignorants n’ayant pas la connaissance du Bien, ce qui nous renvoie aux paroles de Socrate « Nul ne fait le mal volontairement, c’est son ignorance du Bien qui le porte à faire le Mal ». Alors pourquoi les punir en retour de leurs actes sauvages ? Comme je l’ai dit plus haut, la vengeance (Nekam) est un acte irréfléchi, irraisonné. Un conseil m’est donné « Souvenez vous de n’attenter à leur vie qu’autant que la vôtre sera en danger ».

Les mains liées, devant la Chambre du Conseil, on m’a fait «demander grâce d’être le vengeur d’Hiram ». La maxime « Le  crime ne peut rester impuni » est bien visible. Une épreuve terrible m’est donc demandée : Retrouver les meurtriers d’Hiram et les châtier. 

Johaben, en tête de cette entreprise, pénètre dans la caverne, après avoir aperçu le traitre y entrer. La caverne représente le monde souterrain ténébreux de la conscience, lieu de refuge et d’effroi. La caverne est le lieu d’un passage, d’une épreuve donnée au traitre car pris de remords, il se tue. Platon nous dit que l’homme qui se contente des apparences reste un esclave enchaîné à ses certitudes. 

A ce stade, je serais présomptueuse si je disais avoir compris véritablement tout le sens de cette cérémonie.

Dans l’allégorie du rituel, nous avons fait un retour en arrière par les pas de Maitre, de

Compagnon et d’Apprenti. Ce retournement nous amène sur un nouveau plan. Ce nouveau départ conduit le nouvel Elu que je suis à faire preuve de discernement entre le Bien et le Mal, selon la morale. Le but de la maçonnerie est bien la progression morale. 

Depuis, une caverne m’est connue, une Lampe m’a éclairée, une Source m’a désaltérée. Ainsi, Johaben n’a pas commis l’acte irréversible : Cette vengeance sans vainqueur précisait dans le texte de notre rituel au retour de Johaben et avant que celui-ci ne prenne son obligation : « Tout vous a annoncé la Vengeance, mais l’Ordre est bien loin de vous inspirer un pareil sentiment ». 

J’ai obtenu la récompense de porter le nom distinctif d’Elu. J’ai été confrontée  malgré moi à ce désir de vengeance qui n’a pas eu lieu puisque Abibalc préfèrera se suicider plutôt d’être jugé.  Ainsi « le crime est puni », les trois compagnons sont morts.

Je préfère cette dramaturgie où je n’ai pas eu à venger véritablement la mort d’Hiram. 

La maîtrise de soi ne s’acquiert pas sans effort, et pour ce faire, il est nécessaire d’exercer sa volonté. Par leurs actes souvent inqualifiables, nous pourrions croire que la Sagesse est inaccessible aux êtres humains. Et cependant, il est dans leur pouvoir de tenter de s’en approcher. 



Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me souvenir le nom, il y a encore peu de temps vivait un hidalgo, de ceux qui vivent avec avec lance au râtelier et bouclier antique, rosse efflanquée et lévrier de chasse.

C’est ainsi que commence le Don Quichotte, que je vais laisser se présenter lui-même, en musique.

Ai-je choisi de parler de Don Quichotte ce soir uniquement parce qu’il se veut chevalier ?
Non. J’ai eu envie  de le faire venir parmi nous pour toutes les questions qu’il nous pose.

  • Héros  ou Anti-héros  ?
  • Personnage ambivalent qui nous interpelle dans un itinéraire maçonnique chevaleresque également ambivalent. Avec tous ces rites chevaleresques qui s’épanouissent pour séduire les nobles après le discours de Ramsay, aux affirmations historiques discutables.
  • Le personnage de Don Quichotte me semble également intéressant car il est à la croisée de deux monde, comme nous le sommes peut-être.
    Ses aventures marquent la fin du monde médiéval et le triomphe de la Renaissance.
  • Mais surtout il incarne, et c’est pour cela qu’il a pris une dimension mythique, la dualité déchirante de l’utopie et du réalisme, des croyances et de la raison.
  • Il est parti sur la route pour vaincre les ennemis du bien n’a finalement vaincu que ses chimères. Mais c’est déjà pas mal, n’est-ce pas ? :

Avant d’aller plus loin, un bref retour sur l’époque, l’auteur et l’œuvre.

LE CONTEXTE

Cervantes écrit le 1er tome du Quichotte en 1605.

L’Espagne vit ce qu’on a appelé le siècle d’or: effectivement, l’or arrive à flots des colonies sud américaines, la vie culturelle et artistique est foisonnante.  Mais le pays s’enfonce dans une inexorable décadence économique.  Les Habsbourg ayant purgé la société des  éléments qui avaient participé à son développement par leur maîtrise de la science et de l’agriculture : les juifs puis les  maures.

L’Espagne ultra catholique s’érige à grands frais en championne de la lutte contre l’hérésie. L’inquisition fait règner la peur dans le corps social. .

Cervantès

Né en 1547. Mort en 1616, juste 1 an après la publication du second tome de Don Quichotte

Ni docte, ni autodidacte, Cervantès est un homme qui a appris à part égale dans la vie et dans les livres.  il a approfondi ses humanités auprès d’un célèbre érasmiste.

Jamais il ne réussit à vivre de sa plume. Donc, il consacre la plus grande partie de son existence à gagner sa vie, tout en lisant et en écrivant insatiablement.
Il fut tour à tour courtisan en Italie, soldat en Sicile  et en Tunisie, prisonnier à Alger. De retour en Espagne il continue à chercher prébendes et expédients pour entretenir sa famille, au gré des opportunités.
Il a donc connu à la fois les cours et les cachots,  les auberges et les palais, l’exil et le retour, la route et le foyer. Il a participé en soldat à la fameuse bataille de Lépante, où il a perdu l’usage d’une main.

Homme typique de la Renaissance, Il est contemporain de Rabelais, Montaigne, Shakespeare.

Don Quichotte

Don Quichotte, modeste hidalgo de Castille, a trouvé refuge dans la lecture effrénée des livres de chevalerie. Il s’en est si bien gavé qu’il a le cerveau tout embrumé de ses idoles humaines, Amadis de Gaulle et autres chevaliers médiévaux.  Les romans de chevalerie ont passionné les précédentes générations : on dit que Charles Quint, la future Sainte Thérèse d’Avila, Ignace de Loyola les lisaient avec avidité.

Don Quichotte s’identifie à tel point à ses héros qu’il part sur les routes pour accomplir les exploits et missions du chevalier errant, figure typique de l’imaginaire chevaleresque.

Le roman présente 2 tomes, écrits avec 10 ans d’écart :

Le tome 1, publié en 1605, est  le plus connu.
Après une 1ère sortie de quelques jours seul,  Don Quichotte part une seconde fois sur la route, avec Sancho.
Ce tome constitue une satire appuyée des romains de chevalerie : cérémonie grotesque d’adoubement dans la cour d’une auberge, choix d’une dame de cœur dans la personne d’une jeune laboureuse qu’il prend pour une noble princesse ; lutte contre les moulins à vent confondus avec des géants maléfiques, correction d’un patron abusif, combat contre des bénédictins, imaginaires détrousseurs.
Chaque aventure se solde par des  rouées de coups sur le malheureux chevalier et son écuyer.

Dans le courant du XVIème siècle, la mode de romans de chevalerie  commençait à passer. Cependant les exploits de tous ces personnages étaient encore très présents dans les mémoires. Aussi, les aventures de Don Quichotte ont été saluées par un immense éclat de rire et ont connu un succès foudroyant. Deux mois après la sortie de l’ouvrage, l’éditeur dut mettre en chantier une seconde édition, et des éditions pirates se multiplièrent.

On en faisait des lectures publiques dans les villages, et ce personnage devint familier, même aux analphabètes, car il figura dans les cortèges, les mascarades, les ballets, et en fut très vite, l’attraction la plus prisée. Désormais, le nom de l’ingénieux hidalgo avec sa silhouette efflanquée, associée aux formes épanouies de son écuyer, était connu de tous.

Dans cette première partie, Don Quichotte est maître de sa propre épopée ; à mesure qu’il se forge son identité, il invente son propre monde : le château, les géants, Dulcinée, etc.…

En revanche, dans la seconde partie, publiée 10 ans plus tard, Don Quichotte et Sancho vont parcourir un monde peuplé de gens qui les connaissent puisqu’ils les ont lus. On les reconnaît, on les salue, on les accueille, on les interroge sur tel ou tel point obscur de leur histoire, on joue le jeu avec eux.
Les voici donc, chacun pour son compte, transformés en lecteurs de soi-même. C’est une vraie trouvaille littéraire.
Don Quichotte ne transforme plus les choses. Ce sont les circonstances ou les autres qui fabriquent un univers à la mesure de ses exploits ou de ses désirs. C’est dire que la plupart des épisodes de cette seconde partie sont le récit des mystifications, des burlas, dont notre pauvre chevalier sera victime.

On le trompe, on le manipule, soit pour faire rire, soit pour le faire revenir à la maison. Sancho se voit confier une fausse responsabilité de gouverneur, qu’il assume avec un grand bon sens et qui remplit son escarcelle. Le chevalier remporte bien quelques victoires mais peu à peu ses illusions s’effritent.

Au delà, de la parodie chevaleresque, le roman constitue une plongée tout à fait réaliste et d’une grande liberté, dans le monde du peuple et de la petite noblesse de Castille. Le courage de l’écrivain tient plus à cet aspect qu’aux performances de son héros. C’est ce qui fait l’étonnante modernité de l’œuvre, qui marque une date essentielle dans l’histoire du roman.

QUELLES REFLEXIONS peut nous inspirer cette œuvre ?

J’ai identité 3 axes, mais il y en a certainement beaucoup d’autres :

  1. L’idéalisme et ses limites
  2. L’engagement
  3. La résolution de nos dualités internes.

1 L’idéalisme et ses limites

Vieux, laid, pauvre, c’est un antihéros qui  prend la route avec sa misérable Rossinante, son pauvre attirail qui lui vaut le surnom de chevalier à la triste figure. Sa folie idéaliste lui fait prendre les moulins pour des géants, les outres pour des armées, les péripatéticiennes pour des gentes demoiselles; il en fait tant, avec un tel aveuglement « militant » qu’il s’en prend aux innocents, délivre ceux qui sont libres, accusent ceux qui le protège. Bref, il en fait trop et fait tout de travers.

Son excès d’idéalisme l’empêche d’agir sur le monde, car il lui fait perdre à la fois ses propres limites et tout esprit critique. Puis, chemin faisant, à coups de blessures physiques et morales, le fou furieux se calme : sur le route, Don Quichotte fait l’épreuve de la réalité, il perd une à une ses illusions, jusqu’à confesser à l’heure du dernier retour dans son village : « Je ne suis plus Don Quichotte de la Manche, mais Alonso Quijano dit le Bon. Je suis ennemi d’Amadis de Gaulle et de toute sa lignée; les histoires profanes de chevalerie errante me sont odieuses. Je connais ma sottise et le danger que leur lecture m’a fait courir et maintenant je les abomine. »

A travers Don Quichotte, mais aussi à travers les nombreux paradoxes de son œuvre, Cervantès nous enseigne l’importance de la distance, de la relativité, du sens critique, de la mesure. Nous y voyons le douloureux apprentissage de l’humain, à la croisée du blanc et du noir, sur le fil où le funambule se métamorphose parfois en sage.

Voici un épisode intéressant où le chevalier finit par donner une leçon de bon sens à son écuyer. Don Quichotte et Sancho rencontrent en chemin une petite troupe armée : les hommes d’un village qui veulent se venger des moqueries du village voisin.
Sancho a voulu apporter sa propre leçon, il a été roué de coups et son maître s’est dérobé. Quand ils ne retrouvent, Sancho se plaint d’avoir été lâché :

À la male heure vous vous êtes pris à braire, Sancho. Où donc avez-vous trouvé qu’il était bon de parler de corde dans la maison du pendu ? À musique de braiment quel accompagnement peut-on faire, si ce n’est de coups de gaule ? Et rendez grâces à Dieu, Sancho, de ce qu’au lieu de vous mesurer les côtes avec un bâton, ils ne vous l’ont pas fait avec une lame de cimeterre.

Je ne suis pas en train de répondre, car il me semble que je parle par les épaules. Montons à cheval et éloignons-nous d’ici. J’imposerai désormais silence à mes envies de braire, mais non à celles de dire que les chevaliers errants fuient, et laissent leurs bons écuyers moulus comme plâtre au pouvoir de leurs ennemis.
Se retirer n’est pas fuir, répliqua don Quichotte, car il faut que tu saches que la valeur qui n’est pas fond
ée sur la base de la prudence s’appelle témérité, et les exploits du téméraire s’attribuent plutôt à la bonne fortune qu’à son courage. Aussi, je confesse que je me suis retiré, mais non pas que j’ai fui.

C’est tout de même un comble d’entendre le chevalier donner à son écuyer une leçon de prudence, dans le tome 2.

La question que nous nous posons en lisant ce roman est de savoir où placer le curseur entre idéalisme et matérialisme.
Faut-il consacrer sa vie à la défense d’un idéal et jusqu’où ? Le justicier mort ou emprisonné ne peut agir sur le monde. Mais, à l’inverse, celui qui comme Sancho vit au rythme de ses instincts et de ses émotions, parle le langage codifié et étroitement moralisateur de la sagesse  populaire ne peut non plus agir sur le monde.

Nous avons 2 outils en main au troisième ordre : le glaive et la truelle.
La problématique qu’ils nous posent ne se situe pas au premier degré : combattre et construire. Toutes les églises, toutes les idéologies, toutes les tyrannies savent très bien le faire.
Notre choix est plus subtil :
D’un côté, qu’est-ce que je refuse , qu’est-ce que je combat et jusqu’où ?  et avec quels moyens ? Il m’est arrivé, dans un cercle proche, d’entendre des propos inacceptables, et je me suis tue, au motif d’être la maîtresse de maison. Il m’est arrivé aussi de mettre dehors des invités tenant des propos inacceptables, en répondant à la violence de la parole par la violence de l’action.  Aucune de ces solutions n’est bonne. Combattre sans laisser ses émotions prendre le dessus est un très long travail. Combattre sans violence de même.
Le premier pas est peut-être simplement de refuser indifférence : « Indignez-vous ». Le cri de Stéphane Hessel fin 2010 a été entendu… et peut-être oublié !

À l’inverse, je m’interroge aussi sur le maniement de la truelle : c’est un outil de finition. On lisse et on aplanit, le nez contre le mur. Au risque d’oublier l’œuvre dans sa globalité, de se perdre dans les détails, de manquer de recul. Au risque aussi d’oublier que le rugueux est aussi précieux que le lisse.

2. L’engagement

Don Quichotte perd pied, étouffé par ses croyances et il lui faut une série impressionnante d’épreuves, douloureuses, pour reprendre de la lucidité.

Le 3ème ordre nous interroge aussi sur la nature de notre engagement :
tout commence par un songe –univers des croyances.
Puis vient l’action avec le chemin du retour et le combat du pont.
Puis la réflexion : les chevaliers du Temple n’ont plus de Temple. De quel univers sont-ils les gardiens ? Quels secrets se transmettent-ils ?

Don Quichotte est incapable d’accepter son temps, d’accepter les circonstances, de s’accommoder des mœurs du jour, mais à quoi veut-on qu’il s’adapte?
À un monde où triomphent les muletiers, les marchands ? Où ne règne pas d’autre loi que celle de l’intérêt ? Où les hommes se contentent de deux choses: leurs affaires et leurs plaisirs. S’il laisse le jeune Andrés attaché à son arbre et fouetté par son maitre, s’il refuse tout sentiment de pitié pour les galériens, alors il s’adapte : c’est un renoncement, une trahison … comme nous en commettons tous. Admettez que ces interrogations sont très contemporaines.

Que faire? Voir le monde couleur de rose et ne nécessitant nulle intervention ? Ou, au contraire, entendre ce monde appeler au secours et chercher à rétablir la justice, à soulager les malheureux?

Et nous ? Chevaliers de rien du tout, mais théoriquement illuminés. Quels combats osons-nous engager ? comment réfrénons-nous cette envie impérieuse.°. de dire « c’était mieux avant » ? Comment gérons-nous les horreurs qu’on nous assènent chaque jour, pourtant moindres que celles des siècles passés ?

Le 3ème ordre nous amène vers une réflexion sur l’engagement et sur sa nature.

Le récit historique apporte une répons, étonnante, choquante pour certains d’entre nous :

N’ayant point, mes FF.°.\, la possibilité de réédifier l’Ancien Temple avec des matériaux terrestres, que ce soit du moins avec des matériaux mystiques qu’il soit placé au milieu de votre cœur.

Le terme « mystique » détonne au rite français. Il ouvre un chemin clairement plus orienté sur l’esprit que sur l’action, et même plus spirituel que philosophique, laissant à entrevoir que la suite pourrait bien être surprenante !

3. La résolution de  nos dualités internes

Don Quichotte et Sancho, sont certes 2 personnages différents, mais ils symbolisent nos dualités intérieures, nos luttes internes, nos ambivalences.

Sancho tient à son gros corps, il est un peu douillet, un peu menteur, un peu tricheur, un peu roublard. Sancho est illettré, à peine sait-il, et encore vaguement, signer son nom. Ce qui signifie qu’il n’a aucune connaissance dans le domaine intellectuel et moins encore littéraire. D’où parfois sa crédulité naïve. Néanmoins, il a non seulement du bon sens, mais également de l’esprit, de l’intelligence et, peu à peu, se dessine un caractère plus profond qu’on ne le croyait.
Sancho va aimer de plus en plus son maître mais aussi le juger.
De la confiance la plus absolue, il passe au scepticisme. Il lui suffit d’écouter le témoignage de ses côtes endolories pour être sûr que les prouesses de son maître ne sont pas des succès.

À la fin du roman, de son côté Don Quichotte, d’abord caché sous la caricature, finit par triompher d’elle. Elle ne s’efface pas tout à fait mais, à travers elle, apparaît une dignité héroïque, un visage si grave et si beau qu’on se prend de respect et de tendresse pour lui.

Don Quichotte et Sancho, tandis qu’ils avancent au trot de leurs invraisemblables montures, ne vont pas cesser de deviser. Ce seront leurs savoureux entretiens, qui doublent la narration du contrepoint de leurs réactions et sentiments. Leur antagonisme apparent se mue progressivement en une harmonie subtile. Vient le moment où, comme malgré eux, ils en arriveront à se contaminer l’un l’autre.

On assiste à la lente métamorphose de l’un et de l’autre: le maître apprend l’exigence du réel, il se dépouille progressivement de son excès d’illusion. L’écuyer affine et personnalise son raisonnement, découvre son potentiel mais aussi ses limites. Il apprennent l’un de l’autre, ils apprennent de leurs aventures communes, ils apprennent du voyage et tous les deux grandissent : l’esprit et le corps se rapprochent, la dimension éthique admet les contraintes du réel, au point que le chevalier et l’écuyer, l’homme et son double, se rejoignent dans une sagesse et une amitié communes, bien loin de leur point de départ.

Le voyage est l’instrument de leur métamorphose: ce sont ses étapes, ses aventures, ses rencontres, ses épreuves, ses conversations interminables qui, chemin faisant, modèlent peu à peu la sagesse des deux héros.
Bien sûr, il serait tentant de parler de voyage initiatique, mais je ne voudrais pas tomber dans les errances reprochées aux exégètes: parlons simplement d’un aventure humaine, tellement profondément humaine qu’elle devient intemporelle, échappe à son auteur et offre à chaque lecteur matière à sa réflexion sur l’homme, à sa réflexion sur la vie.

Comme franc-maçons, de grade en grade, d’ordre en ordre, c’est bien ce chemin laborieux vers l’unité que nous suivons, avec plus ou moins de succès.
Malheureusement – ou heureusement -, chaque porte ouverte découvre une nouvelle porte fermée. Équilibre et déséquilibre, harmonie et chaos continuent de se succéder.

Nous avons coutume de dire que l’important, c’est le chemin, pas l’arrivée. Cervantès nous en donne la mesure avec les 126 chapitres de son ouvrage !

C’était mieux avant, Michel Serres

Un monde de moins en moins violent, Stephan PInker, qui a écrit la part d’ange en nous

La progression du Maçon après la maîtrise,

Jean Perréal, gravure pour Les quatre fils d’Aymon, Jean de Vingle imprimeur (Lyon 1497)

Dans le temple de Salomon celui qui est Maître a atteint le grade le plus qualifié. C’est lui qui désormais est en charge de la formation des apprentis et des Compagnons. Sur le chantier, il distribue les tâches que chacun est en mesure de réaliser. Il transmet son savoir par ses conseils et par son exemple.

Peut-il évoluer encore ? Ou bien est-il le Maître dont l’accomplissement est absolu?

Dans nos Loges bleues, l ‘exaltation à la Maîtrise fait du compagnon un Maître accompli. Il a la plénitude des droits pour le fonctionnement de la loge et les années passant il pourra tenir tous les plateaux.

Alors, la Maîtrise est-elle  un aboutissement ?

Pourquoi créer des ordres de perfectionnement ?

Le M :. apparaît donc avec la mort d’Hiram. Reprenons cette histoire.

Le soir venu, Hiram était donc venu seul sur le chantier. Tout dans sa personne inspirait la force et la sagesse acquises. La beauté en résultait mais pourtant il ne travaillait pas moins que les autres

Et pourtant , dans ce temple presque achevé, mais qui n’était plus baigné par la lumière du jour, Hiram se retrouve en présence de 3 compagnons qu’ils savaient ne pas avoir la probité et le courage requis pour devenir Maître. Ces 3 C :. n’ambitionnent que le pouvoir sans en avoir acquis les vertus et la sagesse.

En fait, symboliquement, ces 3 compagnons l’avaient  accompagné toute sa vie, il les connaissaient très bien pour les avait combattus dans le secret de son âme.  Avec ténacité et vigilance, il avait freiné leur ardeur et pensait bien sinon les avoir neutraliser, les tenir désormais à distance.

Mais l’ignorance, le fanatisme, l’orgueil et l’ambition peuvent toujours réapparaître, même dans les moments les plus sereins, lorsque l’on croit être parvenu au but que l’on s’était fixé.

Dans le rituel d’exaltation à la maîtrise ce sont les trois officiers qui dirigent la Loge, second et premier surveillant puis le V :. M :. qui jouent le rôle des 3 mauvais compagnons .

Malgré leur fonction, leur sagesse et leur responsabilité, ils utilisent les outils dans leur sens négatif, rappelant ainsi que quelque soit le niveau de développement intérieur et la sagesse atteinte, le Franc-Maçon est toujours entre le blanc et le noir, en équilibre sur la ligne qu’il choisit être la bonne.

De façon plus extérieure, ceci peut également signifier que ce sont souvent ceux qui détiennent le pouvoir qui sont le plus à même de le détourner, , détruisant ainsi ce qu’ils ont mission de construire.

A ce sujet, il me semble intéressant de considérer le contexte historique dans lequel les ordres de Sagesse ont été créés.

Lorsqu’en 1723 apparaissent en Angleterre les constitutions d’Anderson, l’espace du Temple ne propose pas d’emblème religieux, le culte est évacué au profit du rite.  dans un pays qui souffrait depuis longtemps des oppositions religieuses, ceci était essentiel pour retrouver une cohésion sociale.

La France est une monarchie catholique. La société française est divisée en ordres, clergé, noblesse et tiers états. Ces classes sont pratiquement hermétiques et l’évolution sociale est très encadrée.

L’éducation des élites est en grande partie confiée aux jésuites dont le système éducatif est basé sur l’imitation et qui modélisent les esprits.

Les inégalités sociales sont amplifiées par l’absence d’une justice unifiée. La justice s’exerce au travers de multiples juridiction et d’innombrables coutumes.

Dans ce contexte, la Franc-maçonnerie apparaît comme un lieu de sociabilisation où les trois ordres sont représentés.

En 1773 la première Grande Loge de France, créée en 1738, devient le GODF. En 1781 commence le travail de rédaction des grades avec l’intervention notamment du F :. Rottiers de Montaleau.

Travaillant sur une base confessionnelle, il s’agit, par les rituels de rassembler les maçons autour de valeurs. Il faut mobiliser les consciences.

En 1782 est crée la chambre des grades qui décide toujours grâce à Rottiers de Montaleau de ne pas créer de nouveau grade mais de les réorganiser.

Dans cette période révolutionnaire, même si la Franc-maçonnerie n’a pas directement influé sur les évènements, il est permis de penser que les ordres français constituent un lieu de transformation des mentalités.

Il s’agit d’éradiquer les rancœurs, conséquences du scandale des inégalités et de se libérer du pouvoir des clercs sur les consciences.

Mais pour cela, il faut également repenser les appareils d’état et notamment la justice. Le premier ordre en propose des structures dés 1782.  C’est en 1791 que le premier code pénal de la révolution sera adopté.

Revenons à la mort d’Hiram :

Avec la mort d’Hiram et la disparition de l’architecte, la parole est perdue, c’est à dire que les plans qui devaient permettre l’édification Temple sont inutilisables.

Car la parole n’est pas réellement perdue, elle est devenue intransmissible puisqu’il faut que 3 Maîtres la connaissent pour qu’une Loge soit opérative.

La parole devenue intransmissible, les travaux du temple sont interrompus.

La découverte du corps d’Hiram et relèvement du M :. permettront de reprendre sa construction avec des mots substitués. « Mac Benah, la chair quitte les os ».

Dans la France du XVIII siècle, que peuvent signifier ces mots substitués.

Ce pourrait être, la substitution de la parole venue d’en haut, de la parole divine par une parole plus humaine « de chair et d’os » ?

Par extension, ce pourrait être la substitution d’une monarchie de droit divin par un état régi par des lois plutôt que par des coutumes ou des ordres ?

Nous avons évoqué précédemment, la nécessité d’organiser  la justice à partir d’une réflexion juste, pesant le bien et le mal avec l’éclairage d’un morale humaine, rompant ainsi avec la loi du Tallion et avec l’arbitraire.

Le peuple des maçons peut réclamer « vengeance » mais c’est désormais l’état qui devient le défenseur et le protecteur de la victime en reconnaissant  «  qu’un crime ne peut rester impuni » mais que «  sans pouvoir légitime, la vengeance devient criminelle »

Le plus important dans cette démarche intellectuelle et sociale, c’est la reconnaissance de la personne et de sa responsabilité. L’individu ne fait plus uniquement partie d’un corps social qui lui assigne un rôle, des responsabilités ou au contraire une immunité, il est devenu une personne, un citoyen. On peut faire appel à sa pensée, à son raisonnement car désormais on reconnaît que «  la conscience est un juge inflexible »

La conscience est placée au niveau de l’homme et non plus au dessus de lui, en justice divine.

C’est ainsi que le M :. devient Joaben, celui qui poursuit les 3 mauvais C :. afin que la justice soit rendue. Après avoir été symboliquement sacrifié lors de l’exaltation à la maîtrise, il devient le bras de la justice, lui-même sacrificateur.

Il poursuit ainsi ses mauvaises passions, réapparues à un moment inattendu et à l’origine de la mort d’Hiram, à l’origine de sa propre mort.

Guidé par le messager et le chien, il part les mains nues et pénètre dans la caverne où Abibalc s’est réfugié.

Voyant dans Joaben, celui qu’il aurait pu être, Abibalc se donne la mort à l’aide d’un poignard.

Joaben ressort de la caverne armé du poignard ensanglanté.

C’est la seconde fois que le Maçon pénètre dans une caverne. La première fois, ce fut lors de son initiation où l’injonction VITRIOL l’invitait à chercher au plus profond de lui-même, l’invitait à dresser un bilan avant de renaître à autre chose. Le cabinet de réflexion était riche de symboles physiques,temporels ou hermétiques propres à l’aider dans sa démarche. Il évoquait la mort tout en étant plein de vie et de promesse ( le crâne, le blé, le coq)

Au contraire Joaben, lui, pénètre dans un lieu stérile où ne peut se trouver que des choses négatives, rien n’évoque l’humain. Seule une petite lampe, donne un espoir.

Joaben a été aidé avant de pénétrer dans la grotte, un autre soutien lui sera accordé à sa sortie sous la forme d’une fontaine désaltérante.

Mais il est seul dans cette caverne ; Il est seul en face de son ignorance et de ses faiblesses.

Il n’a désormais plus de choix, il doit dominer ses penchants négatifs ou y succomber.

 Abibalc le mauvais C :. est lui, déjà perdu. Il n’a pas réussi à vaincre la détermination d’Hiram à protéger le secret des M :. Il doit donc mourir. Sa conscience le lui ordonne.

« Vaincre ou mourir » seront ainsi brodés sur l’écharpe de l’Elu.

C’est ainsi la troisième fois que le Maçon est confronté à une mort  symbolique.

La première fois fut lors de son initiation, la seconde lors de l’exaltation à la maîtrise.

Lors de l’initiation, la mort à la vie profane est une promesse de renaissance à autre chose, une promesse de découverte. Les symboles du cabinet de réflexion sont là pour l’aider. Tous ses F :. sont là pour l’accueillir et l’accompagner dans sa progression.

La mort du M :. est une réflexion sur lui-même. Isolé sous le linceul noir. Il mime une mort physique. Il comprend que cet état de décomposition prochaine est celui de son esprit englué dans les illusions, les préjugés, les fausses valorisations et les fausses motivations. Il peut réfléchir à la juste voie que le M :. est désormais à même de discerner car il sait que ses outils de bâtisseur peuvent aussi être utiliser de façon négative. Il connaît l’envers des choses.

Rien ne doit échapper à sa vigilance, rien ne doit échapper à sa conscience.

A-t-il bien utiliser ses outils de maçons ? Se connaît-il bien grâce au fil à plomb ? L’équerre et le compas lui ont-ils permis de progresser dans la juste voie ? A-t-il éliminé en lui tout ce qui pourrait l’empêcher d’atteindre sa vérité ?

Eh bien, la réponse est NON, puisque justement les mauvais C :. sont apparus.

Mais, comme pour s’accaparer de sa force et de ses qualités, le nouveau M :. a enjambé le corps inanimé d’Hiram. Si le temple est obscur l’espoir n’en n’est pas absent. Il est symbolisé par la faible lumière qui l’éclaire  mais également  par la blancheur du tablier de C :.qui recouvre la tête du futur M :. protègeant et vivifiant son esprit.

« La chair quitte les os » certes, mais la découverte de l’acacia était l’indice de la possibilité d’une vie bien supérieure à sa propre individualité. Même s’il meurt à son état physique  le nouveau M :. est relevé par les 3 lumières de la Loge et par les 5 points de la maîtrise qui lui rappellent que l’union fait la force, et l’inscrivent dans la chaîne de l’humanité.

A l’inverse, Joaben se retrouve seul. 9 M :. sont pourtant partis à la poursuite des mauvais C :.mais seul Joaben aperçoit le chien de l’inconnu et le suit.

C’est la première fois qu’une action solitaire du Franc-Maçon est évoquée.

Au cours de sa progression, il a reçu l’aide et les directives de ses F :. Maintenant qu’Hiram est mort, il est devenu lui-même le Maître, il est seul. Mais Le maître de quoi ?

Il a reçu le signe de la providence lui montrant qu’il pouvait poursuivre ses fausses idées, qu’il en était capable, mais qu’il avait toujours le choix de vaincre et de choisir la juste voie ou de succomber à la paresse, à l’orgueil, à l’envie et à la torture de l’insatisfaction.

Il sait désormais que « les ennemis extérieurs n’ont d’écho que si l’on a pas vaincu ses vices et ses passions qui correspondent aux ennemis intérieurs ».

La « chair quitte les os » Le M :.a-t-il atteint un état de spiritualité ? La Sagesse ?

Joaben est désormais armé d’un poignard. Ce sera l’arme de l’Élu.

Si le M :. est mort à la tombée du jour, Joaben part pour la vengeance ou la justice lorsque brille l’étoile du matin.

Dans ces temps révolutionnaires, est-ce la marque d’un nouveau jour ? Le temps des ténèbres et des inégalités est révolu, vient celui de la justice.

Il ne s’agit pas simplement de la justice rendue équitablement par l’état, car Abibalc s’est suicidé. Il n’y a donc pas eu de jugement, pas de sentence établissant une juste punition.

Socialement, un homme nouveau est né, responsable de ses actes car éveillé à sa propre conscience.

Au 3ème degré, le M :. meurt car il n’a pas terminé complètement son travail. Des vices, des passions et l’ignorance restent tapis en lui.

Il doit continuer à les poursuivre, c’est ce que lui impose le 1er ordre .

Ces vers de Pythagore résument les devoirs de l’Elu

Pratique la justice en actes et en paroles.

Ne t’accoutume point à te comporter dans la moindre des choses sans réfléchir

Mais souviens-toi que tous les hommes sont destinés à mourir

Et parviens à savoir tant acquérir que perdre les biens de la fortune.

Sagesse, Force et Beauté soutiennent le Temple, le 4ème pilier est le M :. désormais armé pour poursuivre son chemin et « vaincre ou  mourir ».

Matrix background computer generated

Je souhaite partager avec vous ce soir le fruit de mon imagination et de mes réflexions sur un passage du rituel de la réception au grade d’Elu.

Hiram a été abattu. Sa mort et la recherche de la parole perdue caractérisent le rituel d’élévation à la maitrise.

Depuis, les trois compagnons sont en fuite. Où se cacher ? Où se poser loin des regards ? Loin des autres ?

Une caverne.

Comment  j’imagine une caverne ?

Est elle froide et sombre, grande à s’y perdre, remplie d’échos, de bruits d’eau ? Ou bien silencieuse, petite, d’un noir enveloppant ?

Abibalc, seul peut me le dire.

« Moi, Abibalc, j’ai tué le Maître, avec la complicité de mes compagnons.

Je suis sûrement suivi et pris en chasse. : je cherche où me cacher »

 Au milieu des rochers, dans les entrailles de la montagne,

je pense à la caverne comme  ABRI ; aucun homme ne peut voir à l’intérieur . Le protégé est isolé du monde  et de son jugement.

 A l’instar des hommes préhistoriques, l’homme Abibalc revient à sa mémoire ancestrale et cherche un endroit sec, pour se retirer et s’abriter.

J’ imagine bien des graffiti  sur les parois, des scènes de vie ou de magie. Le lieu est chargé de l’énergie de la terre dont étaient proches les peuples du Paléolithique. J’entends de loin la voix cristalline de la source proche.

Abibalc est fatigué et les parois de roche forment un cocon enveloppant  qui invite au repos. Il s’allonge en ramenant ses genoux sur la poitrine.

L’homme, en position fœtale, revient à sa mémoire prénatale, la caverne se transforme en  UTERUS  Le fœtus est au chaud, il est nourrit et sa seule occupation est de se former, de se développer et grandir, avant le choc de la venue au monde.

Selon E.A. Kasper et les philosophes Junguiens, « le retour à la caverne est un événement ancestral », une vraie sécurité. Il représente en termes psychologiques, revenir à l’utérus, nier la naissance, descendre dans l’ombre et dans le monde obscur de l’inconscient. Ce retour signifie renoncer à la vie terrestre pour accéder à la vie supérieure de qui n’est pas né ».

Alors Dante me vient à l’esprit, ainsi que Orphée .

Dans la caverne le temps n’existe pas ; il n’y a pas hier ni demain, ni jour ni nuit. Selon Mircea Eliade cet isolement est semblable à l’état de la larve.

Comme la nature nous l’enseigne, c’est seulement dans un milieu impénétrable et  stable que la transformation peut avoir lieu.

L’homme est de retour  à la matrice.

Si pour les Chinois les Dieux viennent sur terre en passant par une grotte, selon les Indiens d’Amérique, les hommes naissent  embryions « mûris » dans les entrailles de la terre, vue comme la déesse mère. La caverne est-elle un lieu de rencontre entre l’homme et la divinité ?

 Je me demande néanmoins si ce milieu clos garde Abibalc prisonnier en attendant de sa part une transformation ?

 Je  me rappelle le mythe de la caverne selon Platon. Le philosophe imagine les hommes emprisonnés dans une caverne par les Dieux, dès leur enfance.

Les hommes ne peuvent voir que les ombres de la réalité externe projetées sur les parois. Ils n’ont le droit d’accès qu’au monde sensible de l’apparence et leur âme doit s’élever pour contempler le monde des réalités.

J’ai  retrouvé ce même principe sur lequel  je me suis longtemps interrogée , dans le film Matrix.

« La Matrice est universelle. Elle est omniprésente. Elle est avec nous ici, en ce moment même. Tu la vois chaque fois que tu regardes par la fenêtre, ou lorsque tu allumes la télévision. Tu ressens sa présence, quand tu pars au travail, quand tu vas à l’église, ou quand tu paies tes factures. Elle est le monde, qu’on superpose à ton regard pour t’empêcher de voir la vérité ».

Abibalc, comme le Neo de la saga, est il appelé au réveil ?

Je l’imagine se retourner, sans trouver le sommeil, en proie à la culpabilité et au remords.`

-Ma réalité se transforme. C’est le moment de la réflexion, de la recherche des raisons qui m’ont conduit à l’excès.

La caverne  devient le CABINET DE REFLEXION.

Elle est le lieu d’un passage, d’une épreuve, dans le chemin vers la vérité.  L’allégorie de la caverne présente alors, de manière imagée l’ascension philosophique vers les Idées et vers l’unité. La philosophie est avant tout une éducation : e-ducere, en latin, c’est « sortir hors de », s’élever hors de la caverne de son ignorance et de sa dépendance. Elle est quête d’autonomie intellectuelle. Elle exige d’apprendre à penser par soi-même, à trouver soi-même les réponses aux questions fondamentales qui se posent à travers son existence.

-Je me prépare donc  à l’éveil ou peut être au sommeil éternel ?-

A l’extérieur, les poursuivants  des assassins, guidés par l’Inconnu, se dirigent vers l’entrée de la caverne.

On sait qu’il y a une pente de 9 degrés pour y arriver et qu’elle est située dans un lieu appelé « Joppa » ou lieu stérile.

Facile d’imaginer un trou béant  au milieu des rochers, vers lequel se dirige le chien de l’inconnu.

Moi, Johaben, le chef des neufs chargés de  venger le meurtre, j’ai accepté la mission d’agir contre mes convictions, l’action de vaincre ou mourir. Je me dirige vers l’obscurité de la grotte.-

Mais une  lumière éclaire la caverne  et cela est nécessaire et indispensable pour qu’une vision ait lieu.

Je vois Johaben et Abibalc croiser leurs regards.

Le moment est suspendu, le temps s’arrête, non, mieux, il fait un retour en arrière pour revenir au moment présent, dans une sorte de spirale temporelle, qui descend aux origines pour remonter vers l’avenir.

Comme dans la saga « Harry Potter », le héros prend conscience de sa capacité d’action, en se retrouvant en face de lui même, après avoir remonté le temps.

La caverne devient pour moi le  PORTAIL DU TEMPS.

Johaben est  pendant un instant infini, Abibalc.   

La rencontre des opposés devient le catalyseur de la transformation, la caverne l’ATHANOR , et la mort ,l’ingrédient ultime pour sublimer l’alchimie.

Abibalc, ou « l’assassin du père » a déjà tué Hiram…

Tuer  le Père est une phrase souvent utilisée pour illustrer le passage à l’âge adulte, la rupture avec l’autorité et les interdits représentés par le rôle du père.  Comme Luke, dans « Star Wars » doit achever Anakin, son père, pour accéder aux degrés supérieurs de l’art Jedi, Abibalc veut repartir libre de jugement,  créer ses valeurs, se construire selon ses propres choix  , devenir grand, prendre la place du père .

Johaben doit tuer à son tour et il doit faire face à l’incompréhension rationnelle de ce qu’on lui réclame. Il se questionne sur la nécessité de justice et la gravité de l’impunité. Il découvre que, seule une conscience légitime peut le libérer de lui-même.

Dans la caverne un bras armé tue le tueur.

Moi/Abibalc/Johaben  sommes passés à l’action et le voile des apparences se dissipe.

La conscience de l’acte et sa nécessité portent à l’accomplissement de la transformation. Le traître est  devenu, à travers la mort, vengeur, sauveur, juste. Johaben prend conscience de sa bipolarité, de l’unité des contraires.

JE suis la caverne.