« … après la Maitrise »

La progression du Maçon après la maîtrise,

Jean Perréal, gravure pour Les quatre fils d’Aymon, Jean de Vingle imprimeur (Lyon 1497)

Dans le temple de Salomon celui qui est Maître a atteint le grade le plus qualifié. C’est lui qui désormais est en charge de la formation des apprentis et des Compagnons. Sur le chantier, il distribue les tâches que chacun est en mesure de réaliser. Il transmet son savoir par ses conseils et par son exemple.

Peut-il évoluer encore ? Ou bien est-il le Maître dont l’accomplissement est absolu?

Dans nos Loges bleues, l ‘exaltation à la Maîtrise fait du compagnon un Maître accompli. Il a la plénitude des droits pour le fonctionnement de la loge et les années passant il pourra tenir tous les plateaux.

Alors, la Maîtrise est-elle  un aboutissement ?

Pourquoi créer des ordres de perfectionnement ?

Le M :. apparaît donc avec la mort d’Hiram. Reprenons cette histoire.

Le soir venu, Hiram était donc venu seul sur le chantier. Tout dans sa personne inspirait la force et la sagesse acquises. La beauté en résultait mais pourtant il ne travaillait pas moins que les autres

Et pourtant , dans ce temple presque achevé, mais qui n’était plus baigné par la lumière du jour, Hiram se retrouve en présence de 3 compagnons qu’ils savaient ne pas avoir la probité et le courage requis pour devenir Maître. Ces 3 C :. n’ambitionnent que le pouvoir sans en avoir acquis les vertus et la sagesse.

En fait, symboliquement, ces 3 compagnons l’avaient  accompagné toute sa vie, il les connaissaient très bien pour les avait combattus dans le secret de son âme.  Avec ténacité et vigilance, il avait freiné leur ardeur et pensait bien sinon les avoir neutraliser, les tenir désormais à distance.

Mais l’ignorance, le fanatisme, l’orgueil et l’ambition peuvent toujours réapparaître, même dans les moments les plus sereins, lorsque l’on croit être parvenu au but que l’on s’était fixé.

Dans le rituel d’exaltation à la maîtrise ce sont les trois officiers qui dirigent la Loge, second et premier surveillant puis le V :. M :. qui jouent le rôle des 3 mauvais compagnons .

Malgré leur fonction, leur sagesse et leur responsabilité, ils utilisent les outils dans leur sens négatif, rappelant ainsi que quelque soit le niveau de développement intérieur et la sagesse atteinte, le Franc-Maçon est toujours entre le blanc et le noir, en équilibre sur la ligne qu’il choisit être la bonne.

De façon plus extérieure, ceci peut également signifier que ce sont souvent ceux qui détiennent le pouvoir qui sont le plus à même de le détourner, , détruisant ainsi ce qu’ils ont mission de construire.

A ce sujet, il me semble intéressant de considérer le contexte historique dans lequel les ordres de Sagesse ont été créés.

Lorsqu’en 1723 apparaissent en Angleterre les constitutions d’Anderson, l’espace du Temple ne propose pas d’emblème religieux, le culte est évacué au profit du rite.  dans un pays qui souffrait depuis longtemps des oppositions religieuses, ceci était essentiel pour retrouver une cohésion sociale.

La France est une monarchie catholique. La société française est divisée en ordres, clergé, noblesse et tiers états. Ces classes sont pratiquement hermétiques et l’évolution sociale est très encadrée.

L’éducation des élites est en grande partie confiée aux jésuites dont le système éducatif est basé sur l’imitation et qui modélisent les esprits.

Les inégalités sociales sont amplifiées par l’absence d’une justice unifiée. La justice s’exerce au travers de multiples juridiction et d’innombrables coutumes.

Dans ce contexte, la Franc-maçonnerie apparaît comme un lieu de sociabilisation où les trois ordres sont représentés.

En 1773 la première Grande Loge de France, créée en 1738, devient le GODF. En 1781 commence le travail de rédaction des grades avec l’intervention notamment du F :. Rottiers de Montaleau.

Travaillant sur une base confessionnelle, il s’agit, par les rituels de rassembler les maçons autour de valeurs. Il faut mobiliser les consciences.

En 1782 est crée la chambre des grades qui décide toujours grâce à Rottiers de Montaleau de ne pas créer de nouveau grade mais de les réorganiser.

Dans cette période révolutionnaire, même si la Franc-maçonnerie n’a pas directement influé sur les évènements, il est permis de penser que les ordres français constituent un lieu de transformation des mentalités.

Il s’agit d’éradiquer les rancœurs, conséquences du scandale des inégalités et de se libérer du pouvoir des clercs sur les consciences.

Mais pour cela, il faut également repenser les appareils d’état et notamment la justice. Le premier ordre en propose des structures dés 1782.  C’est en 1791 que le premier code pénal de la révolution sera adopté.

Revenons à la mort d’Hiram :

Avec la mort d’Hiram et la disparition de l’architecte, la parole est perdue, c’est à dire que les plans qui devaient permettre l’édification Temple sont inutilisables.

Car la parole n’est pas réellement perdue, elle est devenue intransmissible puisqu’il faut que 3 Maîtres la connaissent pour qu’une Loge soit opérative.

La parole devenue intransmissible, les travaux du temple sont interrompus.

La découverte du corps d’Hiram et relèvement du M :. permettront de reprendre sa construction avec des mots substitués. « Mac Benah, la chair quitte les os ».

Dans la France du XVIII siècle, que peuvent signifier ces mots substitués.

Ce pourrait être, la substitution de la parole venue d’en haut, de la parole divine par une parole plus humaine « de chair et d’os » ?

Par extension, ce pourrait être la substitution d’une monarchie de droit divin par un état régi par des lois plutôt que par des coutumes ou des ordres ?

Nous avons évoqué précédemment, la nécessité d’organiser  la justice à partir d’une réflexion juste, pesant le bien et le mal avec l’éclairage d’un morale humaine, rompant ainsi avec la loi du Tallion et avec l’arbitraire.

Le peuple des maçons peut réclamer « vengeance » mais c’est désormais l’état qui devient le défenseur et le protecteur de la victime en reconnaissant  «  qu’un crime ne peut rester impuni » mais que «  sans pouvoir légitime, la vengeance devient criminelle »

Le plus important dans cette démarche intellectuelle et sociale, c’est la reconnaissance de la personne et de sa responsabilité. L’individu ne fait plus uniquement partie d’un corps social qui lui assigne un rôle, des responsabilités ou au contraire une immunité, il est devenu une personne, un citoyen. On peut faire appel à sa pensée, à son raisonnement car désormais on reconnaît que «  la conscience est un juge inflexible »

La conscience est placée au niveau de l’homme et non plus au dessus de lui, en justice divine.

C’est ainsi que le M :. devient Joaben, celui qui poursuit les 3 mauvais C :. afin que la justice soit rendue. Après avoir été symboliquement sacrifié lors de l’exaltation à la maîtrise, il devient le bras de la justice, lui-même sacrificateur.

Il poursuit ainsi ses mauvaises passions, réapparues à un moment inattendu et à l’origine de la mort d’Hiram, à l’origine de sa propre mort.

Guidé par le messager et le chien, il part les mains nues et pénètre dans la caverne où Abibalc s’est réfugié.

Voyant dans Joaben, celui qu’il aurait pu être, Abibalc se donne la mort à l’aide d’un poignard.

Joaben ressort de la caverne armé du poignard ensanglanté.

C’est la seconde fois que le Maçon pénètre dans une caverne. La première fois, ce fut lors de son initiation où l’injonction VITRIOL l’invitait à chercher au plus profond de lui-même, l’invitait à dresser un bilan avant de renaître à autre chose. Le cabinet de réflexion était riche de symboles physiques,temporels ou hermétiques propres à l’aider dans sa démarche. Il évoquait la mort tout en étant plein de vie et de promesse ( le crâne, le blé, le coq)

Au contraire Joaben, lui, pénètre dans un lieu stérile où ne peut se trouver que des choses négatives, rien n’évoque l’humain. Seule une petite lampe, donne un espoir.

Joaben a été aidé avant de pénétrer dans la grotte, un autre soutien lui sera accordé à sa sortie sous la forme d’une fontaine désaltérante.

Mais il est seul dans cette caverne ; Il est seul en face de son ignorance et de ses faiblesses.

Il n’a désormais plus de choix, il doit dominer ses penchants négatifs ou y succomber.

 Abibalc le mauvais C :. est lui, déjà perdu. Il n’a pas réussi à vaincre la détermination d’Hiram à protéger le secret des M :. Il doit donc mourir. Sa conscience le lui ordonne.

« Vaincre ou mourir » seront ainsi brodés sur l’écharpe de l’Elu.

C’est ainsi la troisième fois que le Maçon est confronté à une mort  symbolique.

La première fois fut lors de son initiation, la seconde lors de l’exaltation à la maîtrise.

Lors de l’initiation, la mort à la vie profane est une promesse de renaissance à autre chose, une promesse de découverte. Les symboles du cabinet de réflexion sont là pour l’aider. Tous ses F :. sont là pour l’accueillir et l’accompagner dans sa progression.

La mort du M :. est une réflexion sur lui-même. Isolé sous le linceul noir. Il mime une mort physique. Il comprend que cet état de décomposition prochaine est celui de son esprit englué dans les illusions, les préjugés, les fausses valorisations et les fausses motivations. Il peut réfléchir à la juste voie que le M :. est désormais à même de discerner car il sait que ses outils de bâtisseur peuvent aussi être utiliser de façon négative. Il connaît l’envers des choses.

Rien ne doit échapper à sa vigilance, rien ne doit échapper à sa conscience.

A-t-il bien utiliser ses outils de maçons ? Se connaît-il bien grâce au fil à plomb ? L’équerre et le compas lui ont-ils permis de progresser dans la juste voie ? A-t-il éliminé en lui tout ce qui pourrait l’empêcher d’atteindre sa vérité ?

Eh bien, la réponse est NON, puisque justement les mauvais C :. sont apparus.

Mais, comme pour s’accaparer de sa force et de ses qualités, le nouveau M :. a enjambé le corps inanimé d’Hiram. Si le temple est obscur l’espoir n’en n’est pas absent. Il est symbolisé par la faible lumière qui l’éclaire  mais également  par la blancheur du tablier de C :.qui recouvre la tête du futur M :. protègeant et vivifiant son esprit.

« La chair quitte les os » certes, mais la découverte de l’acacia était l’indice de la possibilité d’une vie bien supérieure à sa propre individualité. Même s’il meurt à son état physique  le nouveau M :. est relevé par les 3 lumières de la Loge et par les 5 points de la maîtrise qui lui rappellent que l’union fait la force, et l’inscrivent dans la chaîne de l’humanité.

A l’inverse, Joaben se retrouve seul. 9 M :. sont pourtant partis à la poursuite des mauvais C :.mais seul Joaben aperçoit le chien de l’inconnu et le suit.

C’est la première fois qu’une action solitaire du Franc-Maçon est évoquée.

Au cours de sa progression, il a reçu l’aide et les directives de ses F :. Maintenant qu’Hiram est mort, il est devenu lui-même le Maître, il est seul. Mais Le maître de quoi ?

Il a reçu le signe de la providence lui montrant qu’il pouvait poursuivre ses fausses idées, qu’il en était capable, mais qu’il avait toujours le choix de vaincre et de choisir la juste voie ou de succomber à la paresse, à l’orgueil, à l’envie et à la torture de l’insatisfaction.

Il sait désormais que « les ennemis extérieurs n’ont d’écho que si l’on a pas vaincu ses vices et ses passions qui correspondent aux ennemis intérieurs ».

La « chair quitte les os » Le M :.a-t-il atteint un état de spiritualité ? La Sagesse ?

Joaben est désormais armé d’un poignard. Ce sera l’arme de l’Élu.

Si le M :. est mort à la tombée du jour, Joaben part pour la vengeance ou la justice lorsque brille l’étoile du matin.

Dans ces temps révolutionnaires, est-ce la marque d’un nouveau jour ? Le temps des ténèbres et des inégalités est révolu, vient celui de la justice.

Il ne s’agit pas simplement de la justice rendue équitablement par l’état, car Abibalc s’est suicidé. Il n’y a donc pas eu de jugement, pas de sentence établissant une juste punition.

Socialement, un homme nouveau est né, responsable de ses actes car éveillé à sa propre conscience.

Au 3ème degré, le M :. meurt car il n’a pas terminé complètement son travail. Des vices, des passions et l’ignorance restent tapis en lui.

Il doit continuer à les poursuivre, c’est ce que lui impose le 1er ordre .

Ces vers de Pythagore résument les devoirs de l’Elu

Pratique la justice en actes et en paroles.

Ne t’accoutume point à te comporter dans la moindre des choses sans réfléchir

Mais souviens-toi que tous les hommes sont destinés à mourir

Et parviens à savoir tant acquérir que perdre les biens de la fortune.

Sagesse, Force et Beauté soutiennent le Temple, le 4ème pilier est le M :. désormais armé pour poursuivre son chemin et « vaincre ou  mourir ».